Autogestion ouvrière et pouvoir politique en Algérie (1962-1965) – Monique Laks

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tiré du site des editions de l’Assymétrie

Publié en 1970, le livre de Monique Laks constitue à notre humble avis la meilleure analyse disponible sur le phénomène autogestionnaire algérien. Originaire de Tunisie, cette militante trotskyste proche de la tendance majoritaire de la IV ème internationale ( c’est à dire de Pierre Frank et de Ernest Mandel et donc opposée à Michel Raptis/Pablo) a pu mener une enquête de fond sur le secteur industriel autogéré tout en gardant une distance critique vis à vis du pouvoir et de son discours. Elle sera d’ailleurs obligée de fuir le pays après le coup d’État de juin 1965. Le livre étant disponible en intégralité sur ce site, nous nous contentons de donner ici quelques citations significatives pour inciter à la lecture…

« Legs colonial » et autogestion : « Ce type de colonie de peuplement interdisant à la fois tout accès des colonisés aux postes de conception et -au delà- toute organisation légale autonome, le remplacement ex abrupto des uns par les autres, était impossible. C’est ce qui contribue à expliquer la différence, non pas d’ampleur mais de nature, des problèmes rencontrés lors de l’indépendance de la Tunisie, par exemple, où le type de protectorat avait permis la construction du parti nationaliste Destour, et la formation de cadres, en nombre insuffisant certes, mais de cadres prêts à prendre part à la relève la plus urgente. »
« Sous l’impulsion des forces libérées par la révolution nationaliste, a pu éclore l’autogestion ouvrière. On se souvient aussi que ce fut beaucoup moins dans le mouvement de libération lui-même que dans la dialectique de son évolution, notamment par la dialectique du fait colonial qu’a essentiellement pu s’inscrire cette gestion ouvrière de l’unité de production. »

Essor de la petite-bourgeoisie et bureaucratisation : « L’aspiration de la petite-bourgeoisie d’un pays sous-développé sublimant son incapacité à trouver place au sein du capitalisme n’est-elle pas justement d’installer une gestion étatique pour vivre d’elle ? De substituer au capitalisme privé, le capitalisme d’État ? »
« C’est dans ses rapports avec les couches prolétariennes que la petite-bourgeoisie va le mieux se révéler et du même coup engager son avenir. Pour dominer sans conflit, c’est à dire profiter sans danger du produit du travail des masses, elle va opérer sur trois fronts – politique, économique, démagogique- cristallisant le tout dans ses rapports avec l’autogestion.(…) Les manoeuvres de l’Office National de Redressement Agricole, parvenant à détourner le produit des fermes autogérées pour les convertir en biens de consommation de luxe (…) suffiront à caractériser le mécanisme et les résultats de cette gestion bureaucratique. »

Un moindre mal temporaire ? L’autogestion et le Pouvoir : « Les comités de gestion représentent, à tout prendre, une solution au problème imprévu de la vacance. Les petites unités industrielles, voire semi artisanales, souvent vides, qui ne tentent que d’exceptionnels intérêts privés, d’une part, des domaines abandonnés où la récolte attend, d’autre part, sont réunis en exploitation sans qu’il n’en coûte rien à l’État. Non seulement les ouvriers n’y sont pas payés, mais ils collectent entre eux les premiers fonds d’urgence et assument les réparations essentielles. Dés lors mieux vaut renverser la situation et faire d’une structure intruse un instrument démagogique du pouvoir, lequel fait d’une pierre deux coups. (…) Pour l’instant, l’autogestion permet donc au pouvoir de résoudre trois problèmes : disposer d’une base contre ses adversaires, masquer son immobilisme en donnant le change sur ses options socialistes, se ménager enfin, la source financière au développement bureaucratique de son appareil.
A condition de circonscrire le secteur autogéré à ses dimensions premières, le secteur industriel surtout, de le priver de tout pouvoir réel en ne lui donnant qu’un pouvoir économique local, de le maintenir dans son isolement en maintenant la classe ouvrière elle même désorganisée et en empêchant les conseils communaux de devenir réalité, de laisser, enfin, l’autogestion affronter sans moyens les secteurs privé et étatique, les risques sont réduits pour le pouvoir de se voir débordé par le développement de cet embryon de pouvoir ouvrier. »
« Une impression d’action concertée a pu se dégager de ce qui a été dit des rapports entre la coalition au pouvoir et les ouvriers en autogestion. Il ne s’agit pourtant que de la résultante de réponses données empiriquement et dans l’instant aux diverses situations contradictoires et non d’une conscience interne d’intérêts propres rendant la petite bourgeoisie capable de se tracer une ligne de conduite cohérente – tout au moins jusqu’en juin 1965. »
« Utile en tant que générateur de plus-value pour la bureaucratie en même temps qu’alibi politique, le secteur autogéré n’est totalisé qu’à cette condition. »

L’autogestion piégée dans l’économie : « On a pu constater les limites de la solidarité interne aux entreprises autogérées par la conception concurrentielle qu’elles avaient les unes des autres, par certaines réactions au projet de consolidation d’entreprises. »
« Une première implication des relations dialectiques nouées entre le collectif ouvrier et l’entreprise apparaît. L’amélioration des conditions d’existence du collectif passe par le développement de la seule entreprise que ce collectif autogère. Si il peut assurer ce développement, la non péréquation du profit et des pertes au plan de l’ensemble des producteurs, non péréquation que suppose l’autonomie des autogestionnaires condamne a être sanctionné, seul, par les lois de la concurrence. (…) Il faut par conséquence bien se rendre à l’évidence qu’il n’est pas d’autre ciment social que le marché, qu’une série de marchés. »
« La seule péréquation, la seule solidarité existante est celle qui unit le collectif ouvrier à son entreprise (…) Le profit pour cette seule collectivité devient la finalité de l’effort. La concurrence en demeure le moyen. »

Autogestion et transcroissance : « C’est au moment où le collectif en autogestion, ou plus exactement son avant-garde, prend conscience de la nécessité de chercher hors de l’entreprise les solutions aux problèmes vitaux de l’entreprise, au moment donc, où la volonté de conservation, les mobiles égocentriques, engendrent les forces centrifuges, qu’il met en cause le pouvoir central dans ses lignes de force politiques, qu’il revendique, pour mieux vivre des structures collectivistes, un État nouveau. »
« Il en ressort que si l’autogestion est un facteur de révélation et de radicalisation des rapports sociaux, elle ne paraît pas capable de développer cette radicalisation jusqu’au renversement des rapports de force existants, à moins de se nier en tant qu’autogestion. »”