Avec raison, Gramsci (1891-1937) reste considéré comme l’un des marxistes de l’entre-deux-guerres les plus importants. Le choix d’extraits, réunis ici en 7 chapitres, embrasse l’ensemble de ses écrits de prison et tente de mettre en évidence plusieurs de ses concepts : hégémonie, américanisme, culture nationale populaire, etc.
Les pages parmi les plus intéressantes sont celles qui reviennent sur l’articulation entre société civile et politique, direction et domination, force et persuasion, qui dessine une nouvelle conception de l’État – « hégémonie cuirassée de coercition » (p. 40) –, sensée mieux correspondre aux changements historiques opérés en Occident depuis la fin du XIXe siècle. D’où une réflexion sur la stratégie à adopter au regard du succès de la révolution en Russie et de son échec partout ailleurs. Également captivants, les passages consacrés à l’américanisme, à savoir les nouvelles méthodes et organisations de travail mises en œuvres aux États-Unis dans les usines Ford. Gramsci y voit une combinaison habile de la force et de la persuasion, une pression matérielle et morale, une rationalisation de la production, parallèle à une rationalisation des instincts sexuels où l’enjeu est « le processus de transformation psycho-physique » de l’ouvrier moyen (p. 303). Au fil des pages, se révèle alors un marxisme original, insistant sur les liens entre théorie et pratique, réflexion et volonté – « on ne peut prévoir « scientifiquement » que la lutte » (p. 120) –, sur les moments de crise et le complexe de compromis, d’équilibres instables, qui se noue par le biais de l’hégémonie de la classe dirigeante et appelle à un renouvellement complet de la stratégie des luttes.